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Writer's pictureZemonk Kosho

Spiritualité: Bouddhisme, Ethique et Biotechnologies



En bossant sur une nouvelle page du site https://deepzen.net dédiée aux conférences publiques et privées que j'ai donnée, je retrouve cet exposé sur le bouddhisme et les biotechnologies. J'avais été invité par l'Université de Genève pour participer à une table ronde dont le sujet était justement "Ethique et Biotechnologies", sujet qui restera éternellement d'actualité je l'espère. C'est en ma qualité de représentant du bouddhisme, en tant que moine zen, mais aussi en tant que chercheur dans le domaine des biotechs (eeeh oui je suis passé par là) que je fus invité à partager ma vision.


Voici cet exposé. Il date je crois de 2006 si mes souvenirs sont bons...



SPIRITUALITE: ETHIQUE ET BIOTECHNOLOGIES

par Loïc Vuillemin, disciple de Maître Kosen


Sommaire


1-Self présentation

2-Présentation succincte de l’exposé

3-Implications des bouddhistes dans les décisions sociales

4-Les deux aspects de l’enseignement bouddhiste

5-Quatre paradigmes bouddhistes dominants

6-L’enseignement des maîtres

7-Discussion avec un maître occidental


1.- SELF PRESENTATION


Mon nom est Loïc Vuillemin et suis de nationalité suisse. J’ai été ordonné moine zen il y a de cela quelques années déjà par Maître Kosen dont je suis actuellement le disciple et secrétaire. Bien que ma profession actuelle est d’être le secrétaire d’un maître, ce qui occupe la majeure partie de mes activités, je n’ai pas toujours été embrigadé dans les premiers rangs de l’enseignement bouddhiste. En effet, c’est mon maître qui, il y a de cela quelques années déjà, m’exhorta à suivre un enseignement universitaire en biologie. Je m’y suis donc attelé et ai obtenu, à l’Université de Genève, mon diplôme de biologie.


Les choix qui m’ont mené à étudier préférentiellement la biologie moléculaire des végétaux ont principalement été dictés, à l’époque, par mes a priori personnels de l’éthique bouddhiste. Je ne pouvais en effet pas concevoir d’avoir à tuer des animaux pour les objectifs abstraits de la recherche fondamentale. En contrepartie, je dois donc confesser aujourd’hui que j’ai largement participé à la mort de milliers d’arabidopsis et de courgettes, de type aussi bien sauvage que mutant, pour des objectifs ne relevant absolument pas de l’avenir de l’humanité, du moins pour ce que nous avions pu établir à l’époque.


J’ai donc été sensibilisé à des problèmes d’éthique mêlant philosophie bouddhiste et biotechnologie dès les débuts de ce que l’on pourrait nommer ma carrière spirituelle. Conscient du décalage des connaissances entre les bouddhistes et les biologistes, je me suis jusqu’à présent attelé à présenter des conférences sur le sujet de la biotechnologie dans les milieux bouddhistes, dans le but d’informer certains représentants notamment sur les modes de production des organismes génétiquement modifiés ainsi que sur les diverses répercussions que l’on peut en attendre.


C’est donc la première fois que j’ai l’occasion de présenter certains points de vue bouddhistes au sein d’un milieu scientifique et je vous remercie pour cette précieuse occasion.


Je voudrais vous avertir, avant d’entrer dans le vif du sujet, que mon érudition n’est pas à la mesure de l’enthousiasme qui m’a mené ici et je vous prie par avance de bien vouloir m’en excuser.



2. - PRESENTATION SUCCINTE DE L’EXPOSE


Maintenant que je me suis présenté et que vous avez une idée de la place que j’occupe dans la présente problématique, je voudrais rapidement vous exposer les points principaux que je vais tenter de développer dans le présent exposé.


Tout d’abord je voudrais souligner la participation récente, dans le monde occidental, de l’opinion bouddhiste dans des décisions de nature sociale.


Je poursuivrai ce court exposé en montrant la distinction qui peut exister entre les aspects officiels de l’enseignement bouddhiste et l’enseignement des maîtres et tenterai de développer rapidement ces deux thèmes pour vous faire voir l’aspect dynamique de l’éthique bouddhiste fondamentale.


Je présenterai au final la position d’un maître bouddhiste autochtone vis-à-vis de l’expérimentation en biotechnologie.


Si le temps le permet à la fin de cet exposé, j’essayerai de répondre au mieux à vos questions sur le sujet.



3. - IMPLICATIONS DES BOUDDHISTES DANS LES DECISIONS SOCIALES


L’histoire du Bouddhisme commence au 5ème siècle avant notre ère lorsque le Bouddha Shakyamuni, Siddharta Gautama, réalise l’Eveil. Il enseigne le Dharma jusqu’à sa mort à 84 ans et reconnaît alors officiellement Mahakashyapa comme son successeur dans ce que l’on nommera plus tard « la lignée des patriarches ».


Très vite, le bouddhisme se développe en Inde puis dans toute l’Asie. L’enseignement des maîtres devient accessible dans de nombreux temples et les gouvernements reconnaissent rapidement les vertus de la philosophie bouddhiste appliquée à la politique ainsi que l’influence de celle-ci sur le peuple.


Les moines représentent alors une autorité sociale non négligeable et sont souvent au conseil des puissants du monde que cela fût en Inde, en Chine, en Thaïlande, en Corée, au Laos, au Japon ou ailleurs en Orient, et cela pendant plus de deux mille ans.


Le conseil des bouddhistes, qui plus est autochtones, dans les décisions sociales de l’occident est un phénomène récent. N’ayant même pas un siècle, il se limite pour l’instant à des prises de positions éthiques au sein de discussions en milieu scientifique et est, le plus souvent, ignoré des milieux politiques et militaires.


La littérature disponible sur l’approche bouddhiste des biotechnologies, par conséquent, est d’une part rare, mais également, pour ce qui concerne l’éthique bouddhiste pure, elle se trouve souvent transcrire de lourds et interminables traités philosophiques ne répondant pas aux attentes du sujet dans son actuel aspect d’application ou du moins tel qu’il se développe aujourd’hui en occident.


Cependant, certains travaux isolés, comme ceux notamment du Dr. Ron Epstein, ou encore l’enseignement oral de certains rares maîtres reconnus pour leur directe authenticité, comme notamment Maître Kosen, sont tout à fait actuels et offrent une vision émancipée de la problématique. C’est principalement sur leurs travaux que je baserai le présent exposé.



4. - LES DEUX ASPECTS DE L’ENSEIGNEMENT BOUDDHISTE


Le bouddhisme a formé, au cours du temps et parfois en s’adaptant aux circonstances sociales, deux lignes directrices majeures, différentes mais clairement interdépendantes, dans la propagation de son enseignement :


4.1. - L’enseignement destiné aux laïcs.


Il est principalement fourni sous la forme de conférences publiques ou d’écrits et se trouve être un enseignement faisant appel à une compréhension de type intellectuel, rationnel et social ; un enseignement et une compréhension politiquement correcte en d’autre termes.


Cet enseignement résulte généralement d’une compilation d’écrits antérieurs et expose principalement une philosophie interdépendante d’un comportement à suivre. Le niveau de compréhension de ces enseignements est généralement adapté en fonction de la classe sociale des auditeurs. Si donc cette liste de règles, car il faut bien la nommer ainsi, n’est pas directement supposée être comprise fondamentalement, elle se doit, pour le moins, d’être appliquée telle quelle. Nous verrons par la suite de quoi il en retourne plus précisément.


4.2. - L’enseignement des maîtres à leurs disciples.


Parfois de nature secrète, cet enseignement vise la libération ultime du disciple et fait appel à une compréhension profonde et intime des mécanismes cosmiques fondamentaux. Le disciple expérimente les enseignements du maître au travers des phénomènes de sa propre vie, de la pratique de la méditation et de certains rituels.


Principalement oral, cet enseignement peut parfois être silencieux, « de mon âme à ton âme » comme le disent les maîtres zen. Les enseignements du maître, parfois choquants et provocants, conduisent le disciple au-delà de lui-même et de sa compréhension individuelle, ce qui lui permet d’accéder à la connaissance universelle.


Pour le maître, comme pour le disciple, la compréhension des règles bouddhistes doit aller au-delà de leur simple et directe application.


Dans la thématique qui nous intéresse ici, il semble nécessaire de présenter ces deux voies.


Si l’une se fonde majoritairement sur des règles et des préceptes dont la stricte application aboutit le plus souvent, et malheureusement oserai-je dire, à une prise de position restrictive quant à la recherche et l’expérimentation scientifique, l’autre transcende généralement les problèmes de nature illusoire pour faire apparaître les libertés et solutions universelles.



5. - 4 PARADIGMES DOMINANTS DU BOUDDHISME INSTITUTIONNALISE


Il peut être extraits 4 paradigmes principaux du bouddhisme officiel qui dominent en sorte sur le paradigme scientifique.


Integrité et respect


Ne pas attenter à l’intégrité d’aucun être sensible. Ne pas tuer, ni blesser, ni faire de mal ou infliger de quelconque souffrance, ni encore l’encourager. Ce précepte s’applique à l’ensemble des êtres sensibles et pas seulement aux hommes. Il provient du respect qu’ont les bouddhistes pour la valeur intrinsèque des existences. Toutes les existences ont la nature de Bouddha, les êtres sensibles peuvent l’expérimenter.



La transcendance


Le bouddhiste atteint la véritable compréhension de la libération et de la sagesse en allant au-delà des phénomènes observables et quantifiables. Cet aspect prédominant de l’étude de soi n’est par conséquent pas concevable dans l’approche scientifique. La science n’est donc pas en mesure, de par sa méthode, d’appréhender certains concepts fondamentaux de la connaissance et de la recherche. Il est d’ailleurs très difficile de présenter ce qu’est la transcendance en des termes scientifiques.



La compréhension de l’Univers comme système ouvert.


Il semble évident que la méthodologie scientifique, qui s’opère le plus souvent en parallèle à des modèles restreints ou limités, n’est pas à même d’accéder à une compréhension complète et intégrée des effets de l’ingénierie génétique sur un système ouvert. Les risques de l’expérimentation ne peuvent par conséquent pas être contenus de manière globale et définitive.


Le corps-esprit.


Le bouddhisme ne voit aucune dualité entre le corps et l’esprit. Ils sont en interdépendance: l’esprit crée le corps et le corps crée l’esprit. Si cela semble donc relever de la superstition, la question de savoir les OGMs sont capables de réaliser la transcendance, la libération et la sagesse ultime reste ouverte. Généralement délaissée par la science, cette question se trouve être au centre des intérêts du bouddhisme.


On ajoutera à ces paradigmes certains problèmes additionnels qui apparaissent à des degrés plus matériels de l’application des biotechnologies, comme les brevets sur le vivant ou encore le contrôle des semences. Ne pas voler, répondra le bouddhisme officiel qui contient bien évidemment sa part de bon sens.



6. - L’ENSEIGNEMENT DES MAÎTRES


Certains maîtres de l’ancien temps pouvaient parfois avoir recours à des stratagèmes diamétralement opposés à toute éthique établie. Maître Nansen coupa un chat en deux pour enseigner la non dualité de l’esprit à ses disciples et Maître Obaku répondait à la majorité des questions qui lui étaient posées par des volées de gifles, devenues historiques.



Les maîtres de la transmission, comme Taisen Deshimaru par exemple, ont parfois des manières d’exprimer leur enseignement qui peuvent sembler contraire à la bienséance bouddhique. Cela a généralement pour effet d’exalter la dimension de la compréhension de ces enseignements et de permettre au disciple une remise en question plus intense de la problématique.


Toujours dans les anciens temps, le Maître avait droit de vie ou de mort sur son disciple. On n’aurait pas osé parler d’éthique mais plutôt d’une forme de responsabilité n’intégrant aucun compromis. Parfois, pour que le maître fasse comprendre quelque chose au disciple, tous les moyens sont bons. Certains aspects de cette tradition tombent bien évidemment sous le joug, aujourd’hui, du code pénal et de l’éthique et ne sont par conséquent plus possibles, pour des questions légales.


L’éthique définit donc des priorités et leurs degrés d’implication dans une expérience donnée. Dans le cas du bouddhisme, l’enseignement d’un maître à son disciple prime généralement sur l’intégrité physique du disciple et la méthode la plus directe et la plus efficace est souvent celle qui est appliquée, parfois au détriment de l’éthique admise comme nous l’avons vu précédemment.


Le maître est seul dépositaire de l’éthique, contrairement au scientifique qui, lui, doit s’harmoniser aux pressions notamment sociales, politiques et financières. Qui plus est, le maître zen a une éthique, une manière de voir les êtres, qui dépasse généralement leur apparence biologique.


Maître Deshimaru disait : « La religion du futur naîtra de l’harmonisation de la science et du zen (on entendra ici par zen le bouddhisme authentique) ». Science et conscience si vous préférez. L’adepte donc de la religion du futur, qui est bel et bien celle qui nous concerne en ce moment, qu’il soit d’horizon scientifique ou spirituel, se doit par conséquent de sans cesse donner la priorité à l’ouverture de voies d’harmonisation entre découvertes, recherches et leurs implications. Il ne peut se contenter de véhiculer une forme dogmatique de la connaissance et de la recherche et devrait participer notamment à la dynamique de création de l’éthique concernant toutes nouvelles possibilités.



7. - DISCUSSION AVEC UN MAITRE OCCIDENTAL


L’héritier de Maître Deshimaru, Maître Kosen Thibaut, 83ème patriarche du bouddhisme transmis, enseigne le Dharma principalement en Europe et en Amérique latine. Il a accepté de se prêter à une discussion sur certaines questions d’éthique où la recherche en biotechnologie et la pratique de la spiritualité bouddhiste peuvent se rencontrer.


Voici donc une retranscription de cette discussion.


Aux différentes questions concernant l’éthique bouddhiste, il avance que pour le pratiquant du bouddhisme véritable, tout devient l’éthique, tout est l’éthique. Non seulement les préceptes, les vœux et les règles, mais également toute action. La posture de la méditation, la respiration durant celle-ci, les attitudes corporelles, tout doit suivre et créer l’éthique.


Evidemment, le débutant se voit inculquer une série de règles et de comportements à suivre dont il ne comprend pas forcément la signification profonde. Mais au fur et à mesure de la pratique et de son expérience des phénomènes, l’étudiant transcende ces notions de base et acquiert une forme de sagesse. C’est l’expression de cette sagesse profonde, jamais acquise et nécessitant une constante actualisation, qui crée le comportement authentique, idéal du bouddhisme.


Il poursuit en évoquant que la sagesse du bouddhisme est une sagesse transcendante. Maître Keizan, au 14ème siècle, enseignait par exemple que la compréhension du précepte fondamental « ne pas tuer » devait s’élever à son aspect spirituel le plus élevé. Il enseignait certes de ne pas tuer, mais de ne pas tuer le Bouddha, de ne pas tuer la nature originelle de chaque chose, de ne pas, en résumé, tuer l’esprit. Keizan avait, comme la grande majorité des maîtres de la transmission, une vision immensément large de la vie et en même temps très restreinte. Il enseignait qu’en s’attachant à la vie, on tuait l’esprit, la liberté. On pourra ajouter que vivre, c’est tuer, en prenant pour exemple notre système immunitaire.


Aux questions relevant pour certains de la superstition comme notamment l’éventuelle altération des facultés d’éveil des êtres sensibles génétiquement transformés que j’ai préalablement mentionnée, il rapporte que la génétique n’est de loin pas une fatalité.


L’ADN est en transformation constante, qu’il s’agisse de remaniements internes ou d’adaptations à des informations extérieures. S’il est convaincu que la présence d’un transgène dans un organisme vivant puisse modifier ses facultés d’éveil, il soutient également que la configuration de l’ADN lui-même peut être modifiée par l’éveil spirituel et croit volontiers qu’il serait envisageable d’en faciliter l’accession au travers de remaniements génétiques. Il maintient tout de même qu’il restera longtemps, voir à jamais, impossible d’insuffler l’éveil spirituel de manière mécanique et que l’esprit (la nature fondamentale de toute chose) sera toujours plus efficace à transformer la nature physiologique des êtres sensibles que la science.


Maître Kosen n’est en somme pas opposé à l’usage des biotechnologies mais recommande bien évidemment la prudence. Il soutient qu’il est certainement possible d’édicter des règles fondamentales d’éthiques concernant l’expérimentation scientifique dans un tel domaine, mais qu’il serait impensable de les suivre sans définir leur flexibilité au cas par cas. Il maintient également que les biotechnologies ne peuvent prétendre à représenter une solution exhaustive aux problèmes planétaires mais concède que l’homme accompli et responsable est totalement apte à venir au secours de l’humanité avec ce formidable outil.


Il devient plus virulent quand nous évoquons les aspects indirectement liés à la science mais concernant toujours le domaine des biotechnologies. Radicalement opposé au brevetage du vivant, il soutient, qu’en matière de vivant pour le moins, le droit à la propriété est du vol.


Il qualifie les procédés génétiques de type « terminator » comme étant dégueulasses et dangereux et se positionne en franche opposition avec les stratégies majoritairement adoptées par les grands lobby de la biotechnologie. Il dénonce l’attitude de certains scientifiques aux intentions mensongères et condamne toute action dont les motivations véritables sont cachées.


Maître Kosen pense pour finir, que toute action, qu’il s’agisse de nos pensées, de nos paroles, de nos actes ou encore de la conscience qu’on en a, doit participer de l’ultime libération de tous les êtres sensibles.


Il encourage toute personne, et notamment les scientifiques, à se donner, sur soi, une plus grande liberté d’expérimentation et à relativiser l’universalité de la recherche sur autrui.




C’est en me ralliant à ces enseignements et en vous invitant à les méditer que je souhaite terminer cet exposé. Merci de votre attention...




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